La fabrique des idées a l'immense plaisir de vous inviter à une rencontre avec le journaliste et historien anglais:
Philip SHORT
à l'occasion de la parution en France de son livre, "Pol Pot. Anatomie d'un cauchemar"
le lundi 4 juin 2007
19h00 - 20h00
à la librairie "Le bal des ardents"
17, rue Neuve - Lyon 1er
Métro Hôtel de Ville
Entrée libre et gratuite
Philip Short est né en 1945 à Bristol, en Angleterre, il vit et travaille actuellement en France. Journaliste correspondant pour la BBC et « The Times » en Afrique de 1967 à 1973, Philip Short a été le correspondant permanent de la BBC à Moscou (1974 - 1976), Pékin (1977 - 1981), Paris (1981 - 1990), Tokyo (1990 - 1995) et Washington (1996 - 1997).
Philip Short est l'auteur de nombreux ouvrages, dont une biographie de référence de Mao Tsé-Toung publiée en France aux éditions Fayard en 2005. Cet ouvrage, a été sélectionné pour le Los Angeles Times Book Prize, comme l’une des 5 meilleures biographies publiées aux USA en 2000.
"Pol Pot, anatomie d'un cauchemar" est son dernier livre publié en France, traduit de l'anglais par Odile Demange, aux éditions Denoël. Il a été sélectionné pour le Kiriyama Pacific Rim Book Prize comme l’une des 5 meilleures biographies ayant trait à l’Asie en 2005.
Ce livre important a fait l'objet d'une chronique de Laurent JOFFRIN dans le Cahier Livres de Libération, la semaine dernière. Nous invitons, en forme d'introduction à cette rencontre, à prendre connaissance de cet article:
"C'était un adolescent de bonne famille, un peu timide, mais aussi rieur et séduisant. Il était si populaire parmi les jeunes filles du harem princier il fréquentait le palais qu'elles n'hésitaient pas, de temps en temps, à lui prodiguer en douce quelques caresses licencieuses. Charmeur, Saloth Sar le fut toute sa vie. Mais quand le Cambodge tomba sous sa coupe, il devint l'un des plus grands criminels du siècle. On le connaît mieux, aujourd'hui, sous le nom de Pol Pot.
Son histoire est aussi celle de la gauche cambodgienne des années 50, qui voulait réaliser l'utopie de Marx et imposa, en pire, celle d'Orwell. L'Angkar de Pol Pot, «l'Organisation», plus sanglante encore que celle de Big Brother, massacra environ un million de personnes sur sept millions d'habitants pour assouvir la passion révolutionnaire d'une poignée de dirigeants. Dans un livre qui se lit comme le roman d'une des grandes tragédies de l'humanité, fondé sur des centaines d'heures d'entretien avec les protagonistes, Philip Short dévoile le processus qui a conduit quelques anciens étudiants frêles et souriants à soumettre leur peuple à un régime inhumain. Il faut le méditer. Il nous fait comprendre où mènent les utopies quand elles ne sont pas tempérées par cet humanisme des Droits de l'homme dont beaucoup d'intellectuels occidentaux affectent encore de se moquer.
Au commencement était un petit royaume asiatique, féodal et pacifique, qui luttait pour son indépendance. Au sortir de la guerre, la France coloniale accorda une large autonomie au prince héritier des souverains d'Angkor, Sihanouk, ce jeune homme retors et fantasque dont le drôle de rire est devenu célèbre dans le monde entier. Pour se concilier les futures élites, le prince octroyait des bourses d'études aux étudiants les plus méritants. C'est ainsi que le jeune Saloth Sar, quoique assez médiocre, se retrouva avec une petite communauté cambodgienne dans le Paris des années 50, entre le Tabou Club et la cité universitaire du boulevard Jourdan, allant des clubs enfumés où se produisaient Gréco et Claude Luter aux librairies obscures du V e arrondissement. Fort de l'immense prestige de l'URSS, le marxisme stalinien étendait sur tous ces cercles son ombre tutélaire, mélangé en l'occurrence d'un nationalisme cambodgien façonné par la tradition khmère et le bouddhisme paysan. Cette mixture idéologique fut la matrice du Parti communiste cambodgien que fondèrent Saloth Sar, Kieu Samphan, Son Sen et quelques autres peu après leur retour au Cambodge. Jamais ceux-là n'auraient dû arriver au pouvoir. Faibles, isolés, sans talent ni culture politique, ils furent projetés en avant par la tragique ironie de la guerre. Tout à leur stratégie indochinoise, les Etats-Unis d'Henry Kissinger, qui avaient érigé le crime de guerre en instrument de gouvernement, déversèrent sur le petit royaume plus de bombes que sur l'Allemagne nazie, dans le vain espoir de détruire les bases arrière du Viêt-cong et d'éradiquer la guérilla. Frustrés par leurs échecs, ils finirent par favoriser le renversement de Sihanouk, remplacé par son chef d'état-major Lon Nol, général cruel et corrompu qui fut incapable de gouverner le pays tout comme de battre les révolutionnaires de Saloth Sar réfugiés dans les montagnes. Les chefs de la guérilla étaient fascinés par l'austérité originelle des petites communautés paysannes qu'ils contrôlaient. C'est ainsi qu'un jour de gloire et de terreur de 1975, après la débâcle américaine dans la péninsule, les petits hommes vêtus de noir et chaussés de sandales taillées dans des pneus, pénétrèrent dans les rues vénérables de la capitale khmère.
Saloth Sar prit le nom de Pol Pot et réunit la direction du Parti pour un long séminaire. Entre-temps, les Khmers rouges, galvanisés par une mystique de la table rase, avaient brutalement vidé Phnom Penh, chassant les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards et les malades, vers la famine, les maladies tropicales et la schlague des guérilleros souvent imberbes recrutés dans les villages. Toute une humanité innocente expiait le crime d'avoir vécu dans ces cités corrompues par le capitalisme.
Du séminaire de Pol Pot, tenu dans une ancienne pagode, journées de décisions utopiques et nuits sur des lits de camp, sortit un projet de communisme extrême, sans propriété privée, sans monnaie et sans industrie, tout entier tourné vers les communautés paysannes frugales et égalitaires, où les hommes de l'Angkar, changés en kapos rouges, avaient droit absolu de vie ou de mort sur quiconque s'écartait un tant soit peu du mode vie agressivement collectiviste et puritain défini par l'Angkar. Philip Short décrit minutieusement cet enfer sur terre bâti au nom de l'avenir radieux. La violence inhérente à la culture cambodgienne explique une partie de la barbarie khmère rouge, prisonniers torturés et mutilés, femmes éventrées et suspects enterrés vifs comme dans l'ancien royaume d'Angkor. Mais c'est surtout l'effroyable distance entre la simple réalité humaine du pays et le projet fou tiré de livres mal lus dans les bibliothèques parisiennes Kropotkine, Lénine ou Staline qui explique le génocide. Libérés de tout scrupule par le cynisme léniniste, les paysans guerriers au foulard rouge comblèrent le fossé entre utopie et réalité par la terreur, redoublant de violence au fur et à mesure que les faits têtus échappaient à l'autorité de leurs slogans imbéciles. L'abolition de la monnaie et de la propriété privée fit plonger la production. L'égalitarisme brutal découragea tout zèle et toute initiative. Imitée de la révolution culturelle chinoise, la chasse aux intellectuels et aux techniciens acheva de détruire compétence et productivité dans l'économie. Le Cambodge plongea dans la famine et la misère pendant que l'Angkar attribuait ces échecs successifs au complot imaginaire d'ennemis du peuple innombrables et parfaitement innocents, qu'on martyrisait dans des supplices raffinés ou expéditifs pour exempter la merveilleuse utopie de toute responsabilité dans le désastre.
L'invasion vietnamienne d'un pays ruiné et anémié par le communisme extrême de Pol Pot mit fin au cauchemar. Les Khmers rouges reprirent le sentier de la jungle et survécurent encore une décennie avant de se dissoudre au plus profond des forêts. Pol Pot passa tout ce temps de campement en campement, protégé par une garde personnelle, bien nourri et bien vêtu, agitant sans fin ses projets déments de revanche militaire et politique, sans jamais se départir de son sourire bienveillant, ni prononcer une seule fois le moindre regret. Il mourut tranquillement sous le feuillage clément d'une clairière, persuadé que l'utopie qu'il avait illustrée de manière aussi inhumaine lui survivrait et continuerait de faire rêver les hommes. Il n'est pas certain, malgré le million de martyrs, la guerre de trente ans qui a ravagé le royaume, le visage déformé des suppliciés dont on tente de conserver la mémoire, qu'il se trompe entièrement. La passion de la révolution égalitaire n'a pas de mémoire. D'où la précieuse utilité du livre de Philip Short."
© Libération
La Fabrique des idées
www.la-fabrique-des-idees.org