8.09.2005

André Green


André Green
le 14 mai 2004
18h00-20h00
Elysée - Théâtre
Dernier et quatrième d'une fratrie dont l'ainée a quinze ans de plus, André Green est né au Caire le 12 mars 1927, à l'époque coloniale de l'entre-deux guerres, au Levant franco-britannique (Égypte, Liban, Palestine et Syrie), comme ces artistes du spectacle: Claude François, Dalida, Omar Sharif et beaucoup d'autres qui ont eu leurs heures de gloire à Paris dans les années 50-60. Dans cette bourgeoisie coloniale cosmopolite cairote, il était de règle pour les enfants de fréquenter le lycée français du Caire, d'avoir le français comme langue première et l'anglais comme langue seconde, tandis que l'arabe est d'usage seulement dans les rapports avec les "indigènes".

À ce cosmopolitisme colonial s'ajoute le cosmopolitisme familial des parents séfarades ibériques, portugais du côté paternel et espagnol du côté maternel. Le vernis yiddish ou ashkenaze (Grünn ou Green) du patronyme demeure encore une énigme des changements de nom. Ces cosmopolitismes conduisent à l'ouverture internationale et interdisciplinaire, aux interpénétrations culturelles et à l'éclectisme intellectuel.
Orphelin à quatorze ans d'un père, patriarche méditerranéen, assez distant dans les débats intellectuels philosophiques et scientifiques, malgré la proximité affective dont il s'est déclaré être le seul de la fratrie à connaître l'indulgence et la tolérance. La sensibilité maternelle semble être déterminante dans sa vocation psychiatrique. Elle mourut quand il avait vingt trois ans, émigré en France à Paris, étudiant à la Faculté de Médecine.

Les études secondaires au lycée français du Caire l'a placé à la fois dans les philosophies et les sciences et, pour des raisons pratiques, il opta pour la médecine et particulièrement la psychiatrie, dans la stratégie double paradoxale du compromis qui consiste à faire à la fois les sciences et les philosophies dans l'unité de temps et de lieu.

En 1945, à 18 ans, avec un "bachot" (baccalauréat de l'enseignement secondaire) en poche et un certificat d'études supérieures propédeutiques en médecine PCB (Physique, Chimie, Biologie), il quitta l'Égypte pour la France et arriva dans ce Paris tourbillonnant, brouillon et bouillonnant de l'immédiat après-guerre, de Saint-Germain-des-Près et de l'existentialisme sartrien.

La médiocrité et la tristesse de l'enseignement universitaire dont il a subi durant ses premières années de médecine l'orientèrent de la psychiatrie à la psychanalyse où "les psychanalystes sont des artisans, ils travaillent à la pièce", en refusant la dictature et la morosité institutionnelles des mandarinats hospitaliers, après avoir passé ses années d'internat dans les années 50 à l'hôpital psychiatrique Ste-Anne à Paris qui, en plus d'un salaire, lui a permis d'être en contact à fois avec la réalité hospitalière de la maladie mentale et avec la réalité de très grands talents des disciplines et des domaines connexes de la psychiatrie et de la psychologie.

Ce fut son œuvre "la psychiatrie comme objet de pensée", au moment où de l'autre côté de l'Atlantique Gregory Bateson pensa l'esprit en termes cybernétiques et systémiques de traitement de l'information et d'énergie collatérale. Cette ouverture s'est manifestée par l'invitation au séminaire de 1966 organisé par l'Institut de Psychanalyse de Paris de Jacques Derrida, René Girard et Michel Serres qui ont pour point commun, langue, langage et communication.

René Girard enseignait encore à l'Université Johns Hopkins à Baltimore (Maryland) où Anthony Wilden produisait avec Jacques Lacan "Speach and Language in Psychoanalysis" en 1968, par et à travers lequel le premier traduisait, critiquait et introduisait le second dans le monde anglo-saxon. Michel Serres allait commencer en 1969 sa série "Hermès" avec "La communication".

Ce refus fut érigé en éthique et l'objet de controverse et disputation avec Jacques Lacan, particulièrement sur le point où la situation de l'analyse qui accorde à l'analyste un pouvoir considérable, parce qu'il est objet de transfert et où tout le jeu de l'analyse et toute l'éthique de l'analyste consistent à refuser ce pouvoir et à analyser seulement. Se servir de ce pouvoir est criminel et s'en servir pour de "bonnes raisons" est encore plus criminel.

Ces années d'internat ambulant à travers différents hôpitaux de la région parisienne lui a permis de rencontrer une figure marquante, Henri Ey, devenu un père supplétif et suppléant dans des débats intellectuels et moraux. Ensuite, Ey organisa des conférences qui ont permis aux jeunes psychiatres de s'ouvrir à d'autres horizons et leur ont donné le goût de grandes fêtes psychiatriques de débats, ouvertures et rencontres, comme les journées de Bonneval dont André Green s'est inspiré pour organiser ses journées de la Société Psychanalytique de Paris en 1989 à l'UNESCO. Au cosmopolitisme colonial et familial cairotes s'est ajouté le cosmopolitisme et l'éclectisme intellectuels de Ste-Anne.

En 1955, première rencontre avec Jacques Lacan à L’Hôpital Psychiatrique Ste-Anne. En 1957, Green rencontre Donald Winnicott et Wilfred Bion au Congrès de psychanalyse de Paris. Cette rencontre s'avérera déterminante pour son élaboration de l'état-limite dont on verra la reformulation de Bion du schéma Kleinien et la contribution des travaux de Donald Winnicott à l'idée de l'état-limite. En 1956-1960, psychanalyse avec Maurice Bouvet. En 1961, Green commence à assister aux séminaires de Lacan. En 1962-1963, Green donne des conférences sur Lacan à l'École pratique des hautes études dans le cadre des séminaires de Roland Barthes.

En 1966, séminaire à l'Institut de Psychanalyse de Paris avec Derrida, Detienne, Girard, Serres, Vernant comme invités. En 1965, Green fut élu membre titulaire de la Société de Psychanalyse de Paris et rupture avec Lacan en 1967. En 1970-1977, Green dirige l'Institut de Psychanalyse de Paris, sa nouvelle constitution et sa réforme démocratiques. Depuis 1977, Green, dirige, préside et anime différents regroupements, sociétés et congrès de psychanalyse.

André Green ("Un psychanalyste engagé", p. 95, Calmann Levy, Paris, 1994), dans ses conversations avec Manuel Macias, avoue avoir voulu entretenir la "machine intellectuelle" en assurant en même temps les fonctions cliniques et thérapeutiques à plein temps pour gagner sa vie. Les particularités du mouvement psychanalytique français, d'une part, a interpellé sa tendance (“Trieb” qui donne “trend” anglais: pulsion ou simplement désir) cosmopolitique à l'ouverture internationale et interdisciplinaire et, d'autre part, "après la lourde astreinte du travail psychanalytique, le travail intellectuel a quelque chose de détendant " (op. cit. 1994, p. 95), le travail intellectuel de lecture et d'écriture a été une source de plaisir et surtout d'excitation.
Voici quelques parutions sélectionnées dans la bibliographie d'André Green, en délaissant les articles qui sont préparatoires aux livres et souvent bien plus féconds.

En 1969, "Un œil en trop. Le complexe d'Oedipe dans la tragédie", Édition de Minuit, Paris. Comme René Girard invité au séminaire de l'Institut de psychanalyse de Paris en 1966 , relecture de la littérature avec un autre éclairage.

En 1973, "Le discours vivant. La conception psychanalytique de l'affect", PUF, Paris. Développement de l'idée d'affect qui fait de Green "l'homme de l'affect" en France.

En 1982, "Hamlet et Hamlet: une interprétation psychanalytique de la représentation", Balland, Paris. Ce n'est pas seulement une lecture psychanalytique de Hamlet, mais une lecture psychanalytique de la représentation, permettant de lier la représentation théâtrale à la problématique des représentations inconsciente et consciente et aux limites du représentable.

En 1983, "Narcissisme de la vie, narcissisme de mort", Édition de Minuit, Paris.
En 1984, "Le langage dans la psychanalyse", dans "LANGAGES", Les belles lettres, Paris.
En 1990, "La folie privée. Psychanalyse des cas limites", Gallimard, Paris. Développement du concept de limite et du cas-limite ou "border line", comme état, et non seulement un passage ou un "mélange confus" névrose-psychose. Le sous-titre est beaucoup plus éclairant.

Comme dans l'optique géométrique des images virtuelle et réelle, la limite n'est pas seulement une frontière qui s'ouvre et se ferme sélectivement ou non, un passage ou un entre-deux, entre virtuel et réel, mais un état de latence par rapport au manifeste, comme dans un microscope où l'image virtuelle formée par l'objectif est rendue réelle par l'oculaire.

Ainsi, le titre éclairant de "folie privée" mettrait en contraste le latent ou virtuel au manifeste ou réel, en parallèle avec le privé et le public et la folie privée latente par rapport à la folie publique manifeste. Alors, le "cas-limite" serait une pathologie en soi ou une forme de pathologie virtuelle. Le sous-titre est encore plus éclairant, en annonçant une "psychanalyse des cas limites", une étude psychanalytique de ce phénomène posé comme problème.

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