6.01.2006

Marie Didier



Marie Didier
le vendredi 2 juin à 18h30
au Musée des Beaux-Arts de Lyon

Palais Saint-Pierre - Entrée au 16, rue Edouard Herriot (69001)
Métro Hôtel de Ville
Entrée libre



Cette rencontre est organisée en partenariat avec le Musée des Beaux-Arts de Lyon dans le cadre de l'exposition "Géricault, la folie d'un monde" qui se tient jusqu'au 31 juillet 2006, à l'occasion de la parution du quatrième roman de Marie Didier, "Dans la nuit de Bicêtre", dans la collection de J.B. Pontalis "L'un et l'autre", chez Gallimard.

Marie Didier s'entretiendra avec Jean-Yves Tamet et Josiane Rolland afin de revenir sur son itinéraire intellectuel, son rapport à la peinture, son parcours d'écrivain et de médecin.

L’association « La fabrique des idées » organise à Lyon depuis 2004 des rencontres avec des intellectuels issus de différentes disciplines de sciences humaines invités à retracer leur parcours sous la forme d’un exposé libre, suivi d’un dialogue avec un ou deux interlocuteurs.

L’esprit de ces rencontres qui se déroulent dans un climat plus amical qu’académique vise avant tout à rendre sensible la cohérence, ou les paradoxes, d’un itinéraire intellectuel singulier en revenant tout aussi bien sur le contexte des années de formation, les expériences esthétiques, les influences et les affinités électives qui ont marqué un parcours à travers les lectures, les engagements politiques ou encore les souvenirs personnels relevant de l’approche biographique.
Extrait de la présentation de l'exposition "Géricault, la folie d'un monde" :

"La présence dans les collections du musée des Beaux-Arts de Lyon de la Monomane de l’envie , acquise en 1908, est à l’origine de ce projet qui regroupe, notamment, trois des cinq portraits de la fameuse série des monomanes (1819-1820) : autour du tableau de Lyon, sont réunis Le Monomane du vol du musée des Beaux-Arts de Gand et La Monomane du jeu du musée du Louvre, Paris. Contrairement à l’historiographie qui isole ces cinq portraits dans la production de l’artiste, l’exposition de Lyon se propose d’élargir la notion de folie au regard d’une vision politique. Elle entend montrer que Théodore Géricault, pour être véritablement compris, doit être envisagé comme un peintre d’histoire maniant avec subtilité le symbole et l’allégorie politique. Grâce à la sélection révélant de nombreuses œuvres inédites, l’exposition privilégie le regard si spécifique de Géricault sur ses contemporains à l’aube du romantisme. Cette humanité malmenée par les soubresauts de l’Empire et le retour des Bourbons, est dépeinte par Géricault comme un peuple héroïque, souffrant et fou (de douleur). Les cinq portraits de monomanes ne seraient donc pas seulement les témoins de la naissance de la psychiatrie moderne, mais l’aboutissement logique de toute une réflexion esthétique et politique (d’essence républicaine) portant sur la marginalité, l’exclusion, la pauvreté, la folie des guerres civiles et militaires, le désir de liberté."

Présentation du roman "Dans la nuit de Bicêtre" :

"Taciturne, secret, toujours obscur (l'histoire officielle ne s'étant pas privée de t'effacer simplement des étagères glorieuses allant jusqu'à écorcher souvent l'orthographe de ton nom), j'ai guetté la trace en apparence la plus insignifiante de ta vie. Le détail le plus fugace devenait pour moi lueur dans les ténèbres de ton existence. Tu as connu la maladie, les humeurs froides comme on disait alors en parlant de la tuberculose qui a mis ta vie en péril ; j'ai séjourné plusieurs années en sanatorium où j'ai failli mourir. Tu es devenu soignant ; je suis devenue médecin. Là s'arrête ce qui nous unit, mais plus tard, en avançant vers toi, je découvrirai autre chose qui me fera ne plus vouloir te quitter : par esprit de survie, par nécessité, par intelligence, par compassion innée, tu as su prendre des chemins difficiles, de ceux que presque personne jusque-là en France n'avait osé fréquenter."

Présentation de la collection "Lun et l'autre" :

"Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle. L'un et l'autre : l'auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière ? Les uns et les autres : aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieure, personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus ?"

Article de Franck Nouchi paru dans Le Monde des livres, "L'homme qui a libéré les fous" :

"Par où commencer ? Par l’écriture peut-être, limpide, bouleversante de simplicité et d’érudition. C’est par elle, grâce à elle, qu’on entre en ce 5 juin 1771 à Bicêtre, près de Gentilly, là où sont enfermés les fous. « Bicêtre, dont le seul nom fait frémir quiconque le prononce. » D’emblée, les odeurs « d’urine, de merde, de pus, de vomi, de sang pourri » vous assaillent. Elles ne vous lâcheront plus. Doucement, tendrement, reconnaissante, admirative, Marie Didier (1) s’adresse à un certain Jean-Baptiste Pussin, un pauvre hère franc-comtois de 26 ans, arrivé là malade, on ne sait trop comment. « Je me suis approché de toi, écrit-elle, sans savoir au début que j’allais vers toi, sans savoir que tu allais occuper deux ans de ma vie. » Sans savoir surtout qu’elle allait, à la faveur de cette rencontre et de ses recherches, raconter - et avec quel talent ! - l’un des épisodes les plus extraordinaires de l’histoire de la médecine. Schématiquement, l’histoire de Jean-Baptiste Pussin est celle du moment où de grands médecins européens vont comprendre que la folie n’a pas son origine dans le corps mais dans la personne, dans le « soi ». En France, c’est essentiellement à Philippe Pinel (1745-1826) que l’on doit d’avoir élaboré une interprétation psychologique de la folie selon laquelle elle peut être soignée efficacement par une psychodynamique personnelle entre le patient et le médecin. C’est le moment où va s’inventer la notion de « traitement moral » ; où, pour soigner les fous, on n’hésitera pas à prôner des notions telles que « la douceur, le raisonnement, l’humanité ». "Dans la nuit de Bicêtre" est tout le contraire d’un traité médical. C’est la description, à couper le souffle, de ce moment-clé de l’histoire de la psychiatrie ; c’est aussi le portrait de ce jeune homme qui, sans la moindre instruction, à force d’intuition, de courage et de coeur, va inventer une nouvelle manière de prendre en charge la folie. Tout commence le jour où Pussin entend un hurlement sans fin jaillir de la gueule d’un fou arc-bouté au mur de la cour. « Tu viens de découvrir en toi, lui dit Marie Didier, une chose éblouissante, secrète, qui ne s’apprendra ni dans les écoles, ni dans les universités, qui a été baillonné longtemps, qui va bouleverser ta vie et celle de tant d’autres : tu aurais pu être pareil à ces fous. Ils auraient pu être pareils à toi. » Alors Pussin deviendra portier à l’entrée de Bicêtre. Il aidera à l’écriture des registres. Plus tard, le 27 avril 1780, il sera nommé chef de la division des garçons enfermés du bâtiment neuf. Et trois mois plus tard, gouverneur de l’Emploi des fous. C’est à ce titre qu’il va connaître l’enfer des « loges » de Bicêtre. Il y découvre « les malades pressés par de grosses cordes contre la paroi humide verdâtre, les pieds, les mains, le cou garrottés par les fers ». Ce sont les « insensés » et Pussin est leur gouverneur. Inlassablement, il va consacrer sa vie à combattre l’horreur de leur existence. Inutile de dire qu’il ne dispose d’aucun traitement. Son don d’observation, sa compassion, son travail inlassable, sa force, sa voix seront ses seules armes. En octobre 1785, il est nommé gouverneur du Septième Emploi et rencontre Marguerite, qu’il épousera sept mois plus tard. Grâce à elle, la nourriture des fous de Bicêtre s’améliorera sensiblement. Et puis survient la Révolution. Extraordinaire description de ces journées où bascule la vie du peuple français. On croise le docteur Guillotin venu faire expérimenter à Bicêtre sa nouvelle machine par le bourreau Sanson. « Belle invention ! Pourvu qu’on n’abuse pas de la facilité ! », murmure ce dernier. Et puis Pussin se met à rédiger des observations : « Il est à remarquer que les fous les plus agités sont ceux où il y a le plus d’espérance de guérison… » Il s’agit-là tout simplement d’un des premiers documents de la psychiatrie. Le roi est décapité, la terreur s’installe. Le 11 septembre 1793, à peine nommé, Philippe Pinel débarque à Bicêtre. Dans la cour des fous, il aperçoit un homme en train de remettre un pantalon à un malade nu. Les gestes de l’homme sont presque affectueux, il y a là quelque chose de maternel qui bouleverse Pinel. L’histoire de la médecine bascule à cet instant précis. Pinel, le grand savant, est subjugué par la manière qu’a Pussin de « gouverner les fous ». Grâce à lui, il va voir se concrétiser au fil des mois les fondements de ce qu’il appellera plus tard le « traitement moral ». Il voit dans les passions - le deuil, l’amour, la jalousie, l’ambition - la cause des « maladies de l’âme ». Tout l’art de la médecine, pense Pinel, consiste non pas à détruire ces passions mais à les opposer l’une à l’autre. « Vous venez, dit Marie Didier, de faire une découverte formidable : le fou n’est jamais totalement fou et c’est avec ce reste de raison que la guérison est possible.» L’histoire s’accélère. Septembre 1794 : Pinel lit en public devant la Société d’histoire naturelle son Mémoire sur la manie. Le fou n’est plus un animal. Pour la première fois, devant une assemblée scientifique, on lui donne le statut de malade. Et puis, « s’adressant au public subjugué », il rend hommage à Jean-Baptiste et Marguerite… En janvier 1795, Pinel est nommé médecin-chef du plus grand hôpital d’Europe, la Salpêtrière. Pussin l’y rejoindra sept ans plus tard. Dans l’intervalle - Pinel affirme que c’était le 28 mai 1798 -, Pussin aura accompli un geste inoui : abolir les fers. A tout jamais. Cette libération des aliénés, Pinel, dans son Traité médico-philosophique, l’attribue formellement à Pussin et refuse de s’en attribuer le mérite. Il enfonce le clou pour la postérité, qui ne s’en souviendra pas : « A mon grand regret, je n’avais pu, durant mes fonctions à Bicêtre, mettre un terme à la coutume barbare et routinière d’enchaîner les aliénés. »
Rares, très rares, sont les livres aussi bouleversants que "Dans la nuit de Bicêtre". Il fallait bien cela pour conter la véritable histoire de Jean-Baptiste Pussin, l’homme qui a libéré les fous."

Franck Nouchi

Marie Didier a publié précédemment plusieurs ouvrages remarquables parmi lesquels Contre-visite, La Mise à l’écart et Le Livre de Jeanne, tous parus chez Gallimard.


Association La fabrique des idées
secretariat-general@la-fabrique-des-idees.org
www.la-fabrique-des-idees.org

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Formidable !

Anonyme a dit…

cette femme est absolument sublime